MÊME LES PLUS BELLES histoires d'amour finissent mal. Un but, un carton rouge : voilà le contraste d'une soirée entre fête et énorme gâchis. Les sentiments se bousculent : comment a-t-il pu nous dire adieu ainsi ? Pourquoi avoir bêtement répondu aux provocations ou aux insultes de l'Italien Materazzi ? Pourquoi offrir là et maintenant son visage le plus fou en 785 matchs d'une carrière certes marquée par des coups de sang, mais jamais aussi impensables que ce qu'il a réalisé hier. Cette sortie du football par les escaliers de Berlin n'est pas digne de lui. Cent huitième minute, hier soir. L'Ange bleu se transforme en démon. Tout le monde a encore à l'esprit un tout autre coup de tête. Bien plus glorieux. Sur un centre signé Willy Sagnol, Zidane va, c'est sûr, entrer dans l'histoire, devenir le premier joueur à signer un doublé dans deux finales de Coupe du monde. Le rêve absolu. C'est oublier un peu vite Buffon, gardien d'exception. Le coup de tête n'est pas assez excentré pour quelques centimètres.
Il quitte la pelouse en pleurs
Cinq minutes plus tard, les regrets prennent une autre dimension. Materazzi, auteur de l'égalisation italienne, ceinture Zidane et le retient ensuite légèrement par le maillot. Les deux hommes marchent côte à côte vers le rond central, s'échangeant quelques mots. Zinedine prend quelques pas d'avance et se retourne brutalement, l'oeil noir. Que lui a dit l'Italien ? Mystère. Un ralenti montre ce que personne ne veut voir : l'incroyable coup de sang de Zizou, qui assène un violent coup de tête dans le torse de Materazzi. L'arbitre n'a rien vu, mais renseigné un peu plus tard, il se dirige vers le meneur de jeu. Carton rouge, le douzième et dernier de sa carrière. Fin de l'histoire. Triste épilogue d'une carrière d'exception. Zidane quitte la pelouse en pleurs, sans un regard pour ce trophée posé là, à la sortie des vestiaires. Avant même la séance de tirs au but, il est d'ores et déjà acquis que le capitaine adulé ne soulèvera pas la Coupe du monde. L'image que la France entière voulait tant voir.
Pourquoi ce geste ?
Au commencement, il y eut pourtant le sublime. On avait tout imaginé de lui mais pas encore ça ! Zizou s'est offert de la manière la plus folle son troisième but en deux finales de Coupe du monde. Il voulait signer ses adieux à sa façon, pour que l'histoire retienne encore plus de lui. Alors il a réalisé et réussi le plus beau penalty (7e) de toutes les finales de Mondial : une panenka, c'est-à-dire ce tir au but caressé du pied qui finit en feuille morte au fond des cages. La sienne s'est même permis de toucher la barre transversale de Buffon, comme pour marquer l'instant, désormais éternel. Avec 31 buts en bleu, il dépasse Fontaine et Papin. A ce moment-là du match, Zizou vivait cette finale comme dans un rêve, comme dans son rêve. Comme s'il avait soufflé sur sa balle en même temps qu'il frappait ce penalty, elle est montée pour finir sur le dessous d'une barre amoureuse de son geste, avant de se propulser derrière la ligne. Il y a huit ans, il avait réglé le scénario du France - Brésil par deux coups de tête victorieux, comme si en plus de son génie la grâce lui donnait à chaque fois rendez-vous au moment le plus approprié. C'est un beau cadeau d'adieu. Du moins le pense-t-on à ce moment-là. Seulement voilà. L'Italie, qui l'a installé au sommet du football mondial lors de son passage à la Juventus (1996-2001), lui résiste. On craint même une sortie en queue de poisson sur blessure lorsqu'il réclame lui-même son remplacement, touché à l'épaule (80e). Mais Zidane revient... pour une fin encore plus inimaginable. On a encore du mal à croire que le dernier geste de sa carrière d'artiste aura été une agression. Il ne peut pas finir comme ça, c'est impossible. Ce matin, l'incrédulité demeure encore.